Les changements climatiques, une question d’environnement? Pas seulement, c’est aussi une question de santé. Notre partenaire Fondaction s’est entretenu avec Claudel Pétrin-Desrosiers, médecin-résidente à Montréal et présidente de l’Association québécoise des médecins pour l’environnement (AQME).
Vous faites partie de ces professionnels de la santé qui, partout dans le monde, militent pour replacer l’humain au cœur des préoccupations environnementales. Expliquez-nous comment les changements climatiques agissent sur notre santé?
Claudel Pétrin-Desrosiers (C. P.-D.) – Pour bien des gens, les changements climatiques se résument à la chaleur, aux tempêtes tropicales et aux feux de forêt. Mais il faut savoir que ces événements météorologiques apportent des changements dans l’environnement et viennent poser des stress sur la santé. Je pense aux problèmes courants, comme l’asthme, mais aussi aux déterminants sociaux de la santé, qui regroupent toutes les conditions dans lesquelles les gens vivent, grandissent et travaillent. On peut penser à son niveau de revenu, à la sécurité du logement et à la nourriture à laquelle on a accès, la qualité de l’eau qu’on boit, l’air qu’on respire… Toutes ces choses ont un impact sur la santé.
On a l’impression que les sécheresses, les famines et les événements météorologiques extrêmes sont moins courants chez nous. Est-ce que la menace sur la santé est la même au Québec et au Canada?
C. P.-D. – Encore plus! Le Canada se réchauffe deux à trois fois plus vite que le reste du monde. On vit déjà les conséquences des changements climatiques ici et elles vont s’aggraver.
À l’été 2018, il y a eu une grande vague de chaleur. On estime que 70 personnes en sont décédées, à Montréal seulement. Rappelez-vous en 2003, une vague de chaleur avait fait 70 000 morts en Europe. On sait que dans un avenir rapproché, ces vagues de chaleur seront plus fréquentes, plus intenses et plus longues. On voit également l’impact des feux de forêt qui dégradent la qualité de l’air.
Cela cause des problèmes pulmonaires, entraîne une augmentation des consultations à l’urgence et des besoins de certains médicaments, comme les pompes pour traiter l’asthme.
Au Québec, on constate aussi le développement de la maladie de Lyme, qui est transmise par une tique. Avec le réchauffement du climat, l’insecte peut vivre plus longtemps sur notre territoire, ce qui explique sa présence en Estrie. Dans 30 ans, on s’attend à ce qu’il y ait la maladie de Lyme au Saguenay.
Donc, on suit l’évolution de cette maladie vers le nord. D’ailleurs, l’Institut national de la santé publique du Québec a mis sur pied un comité scientifique sur les zoonoses et l’adaptation aux changements climatiques qui surveille une dizaine de ces maladies qui se transmettent d’une espèce de vertébrés à une autre, dont le virus du Nil occidental. Ils étudient également l’enjeu des bactéries contenues dans le pergélisol qui est en train de fondre.
Et il ne faut pas oublier que le Canada joue proportionnellement une grande part dans les émissions de gaz à effet de serre. Par habitant, le pays est un des pires pollueurs au monde, notamment parce que le gouvernement fédéral soutient l’industrie des énergies fossiles. On n’est pas sur la bonne trajectoire pour réduire notre empreinte environnementale. En fait, on devrait être très concernés par les changements climatiques!
Claudel Petrin-Desrosiers a donné une conférence TEDx à Université de Montréal, le 15 mai 2021
Sur le plan de la biodiversité, maintenant, en quoi la perte des milieux sauvages est-elle problématique pour la santé humaine?
C. P.-D. – Les écosystèmes nous rendent une multitude de services : ils nous protègent, ils purifient l’air.
Donc ils viennent diminuer la pollution atmosphérique qui est toxique pour tous les organes du corps. Mais avec l’activité humaine, on est en train de perturber ces écosystèmes. Pourtant, on sait que les solutions basées sur la nature pourraient représenter 30 % des efforts de lutte contre les changements climatiques, selon un rapport de l’Organisation des Nations Unies qui remonte à 2019. Cela fait donc partie de la solution.
La nature en soi est bonne pour la santé. Passer du temps en nature permet au corps humain de réduire la tension artérielle et la fréquence cardiaque, de diminuer les symptômes de dépression et de contrôler l’anxiété.
À Montréal, la canopée est de 20 %. Si on l’augmentait à 40 %, qui représentent une proportion idéale, on serait capable de réduire beaucoup de problèmes de santé, comme l’incidence du diabète, de trouble de déficit de l’attention et du stress.
En fait, les arbres créent des environnements apaisants. Les milieux verts encouragent le déplacement actif et créent des environnements sécuritaires. En fait, le seul danger des arbres, ce sont les allergies! Dans les quartiers plus verts, les gens rapportent de meilleurs niveaux de santé et sont généralement plus heureux. Une étude réalisée aux Pays-Bas en 2006 établissait un lien significatif entre le pourcentage d’espaces verts dans le voisinage et la santé générale perçue des citoyens. Il y a des liens très forts entre le verdissement, les arbres et notre santé. Il n’y a pas un médicament capable de rivaliser avec les bienfaits des arbres!
Pourquoi croyez-vous qu’il est important de placer la santé au centre des discussions sur les changements climatiques?
C. P.-D. – On a énormément parlé de changements climatiques dans une perspective de préservation des espèces comme l’ours polaire, qui est l’exemple classique. C’est important qu’on prenne soin des autres habitants de la planète, mais la question centrale pour moi en tant que médecin concerne le futur : est-ce qu’on accepte de vivre dans un environnement où nos enfants ne pourront pas grandir en santé? Il faut s’assurer que nos systèmes de santé seront capables de continuer d’offrir les soins auxquels on s’attend, malgré les pressions liées aux perturbations climatiques. Pour le moment, on n’est pas prêts à y faire face.
Comment les citoyens et les entreprises peuvent-ils contribuer au mouvement?
C. P.-D. – Nous avons tous une responsabilité pour prendre les bonnes décisions sur le long terme, surtout en tant que professionnel de la santé. Le système de santé représente 5 % des émissions de gaz à effets de serre du pays, ce qui n’est pas négligeable. Pour être cohérents, nous devons entamer la transformation écoresponsable de nos soins dans les hôpitaux et les centres d’hébergement. Ça peut passer par le matériel qu’on utilise, le type de nourriture qui est servie aux patients, l’efficacité énergétique des bâtiments, la présence accrue d’arbres autour des centres de soin, des stationnements pour les transports actifs et en commun, des systèmes de climatisation et d’éclairage efficaces, la réduction et la gestion des déchets… Il y a tellement de choses qui peuvent être améliorées! Les places de soins devraient servir d’exemple pour la société en étant pleinement protectrices de la santé. Il y a une question d’intérêt à regarder nos milieux de travail pour les rendre plus écoresponsables.
Et qu’en est-il des décideurs politiques? Vous les avez récemment interpelés lors du dernier G20, aux côtés des 40 millions de professionnels de la santé, pour qu’ils choisissent une relance économique misant sur la santé durable.
C. P.-D. – Pour moi, c’est un devoir constant de sensibiliser les décideurs, mais ce n’est pas simple. Les représentants du domaine de la santé ne sont pas toujours parties prenantes des réflexions et des décisions sur le climat. En revanche, je constate que quand les experts en santé ont une voix dans les grandes décisions, ils sont écoutés. Parce que nous parlons du bien-être de nos parents et de nos enfants.
La santé est quelque chose de tellement fondamental. On veut que les gens soient en bonne santé pour réaliser leurs rêves et vivre leur vie comme ils l’entendent. Mais ce droit est mis à mal par les pressions environnementales et notre incapacité collective, surtout au niveau décisionnel et politique, à prendre de bonnes décisions sur le long terme. Je crois que pour réussir la transition, il faut mettre la santé au cœur des discussions.
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